Titanic |
mars 1998 - octobre 2001 |
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Lorsque "Titanic" est sorti en France dans les premiers jours
de 1998, le film a été apprécié par une grande partie de la
critique. Sur le
forum
frcd
, par contre, les dix ou quinze critiques amateurs habituels
étaient presque tous opposés au film. Un an plus tard, les Cahiers du
Cinéma semblaient donner raison à frcd : un ou deux seulement des
critiques professionnels mettaient dans leur liste des films de
l'année ce film dont ils avaient dit tant de bien quelques mois plus
tôt. Qu'est-ce qui fait que, moi par contre, j'ai tant aimé "Titanic"
? Que je le considère encore comme un film passionnant et original
?
"Titanic" est à la fois un très grand spectacle et un drame
romantique, avec un scénario soigné et une réalisation virtuose, des
effets spéciaux démesurés et des acteurs très bien mis en
valeur. L'ambition est énorme, puisqu'elle couvre tous les aspects du
cinéma populaire, et la réussite est presque totale. Le film est long
mais jamais lassant, et l'histoire reste limpide malgré la
multiplication des personnages et des faits annexes.
Trois films se succèdent dans "Titanic"
D'abord un film romantique flamboyant, une histoire d'amour
fou, alors que la plupart des films romantiques se contentent
d'amours modérées et édulcorées.
La réalisation joue alors sur le registre du lyrisme le plus
débridé, avec ces mouvements de caméra virtuoses au-dessus du
navire, ou des compositions picturales comme la "figure de proue"
des amoureux qui doit orner quarante millions de chambres
d'adolescent(e)s dans le monde. A d'autres moments, on revient vers
la comédie romantique américaine classique, à travers le jeu sur le
passage d'un milieu social à un autre : Jack au dîner des riches,
Rose au bal des prolos. Ou encore dans le romantisme érotique :
scène du portrait, scène d'amour. Et la description du navire, par
sa précision, rejoint le documentaire.
Dès que Jack a effectué le portrait de Rose, au moment précis
où le valet, qui est à leur recherche, débarque dans l'appartement,
on entre dans le second film, qui est un film d'action. C'est la
partie la plus faible de "Titanic". Les courses-poursuites et les
images-choc sont bien fabriquées, mais inutiles. Dans une grande
épopée hollywoodienne comme "Titanic", ce morceau de "film de genre"
détonne.
Enfin, les deux amants, après avoir échappé à mille dangers
dans les antres du navire, parviennent finalement sur le pont, et
commence alors une séquence de vingt minutes pendant laquelle le
paquebot penche, se dresse et sombre. C'est le film
catastrophe.
Il s'agit d'une scène unique, folle, jamais vue par sa
longueur, son thème (le navire penche lentement à la verticale, les
gens courent vers le sommet), et son réalisme. Contrairement à ce
que croient beaucoup de réalisateurs de blockbusters, dont Cameron
lui-même quelques minutes plus tôt, il est inutile de multiplier les
plans et les péripéties pour créer la tension ; les scènes les plus
fortes ne comportent qu'une ou deux bonnes idées, mais exploitées
au-delà de toute imagination.
Dans ce qui précède, je ne mentionne pas les scènes
contemporaines. Elles me semblent relever en partie d'une manie
actuelle d'Hollywood : lorsque l'histoire se déroule il y a quelques
décennies, il faut absolument que l'on voie, au début et/ou à la fin
du film, ce qu'est devenu l'un des personnages principaux. Son rôle
est de se souvenir d'un héros disparu et de lui rendre hommage (cf "La
liste de Schindler" ou "Ryan").
Un monde à construire, et un monde à
détruire
Dans ces scènes contemporaines, les dialogues prononcés par la
vieille dame sont bien écrits, et sa manière d'évoquer le passé laisse
subsister un doute sur la véracité de son histoire, qui permet
d'envisager une lecture du film à plusieurs niveaux : en une phrase,
elle dit que Jack Dawson, absent des registres, n'existe plus que dans
sa mémoire, ce qu'on pourrait interpréter en disant qu'elle a, en
fait, inventé de toutes pièces ce prince charmant idéal pour rêves de
jeunes filles. Un autre passage offre, lui aussi, un nouveau regard
sur l'histoire racontée : lorsqu'elle se couche à la fin (certains
disent pour mourir), la caméra s'attarde sur quelques photos exposées
sur sa table de nuit (Rose à cheval, Rose en avion...), et ce survol
rapide permet d'évoquer, d'une manière fugitive et originale, la vie
ultérieure de la héroïne. Pour moi, un "Titanic 2" plus intéressant
que les vagues rumeurs qu'on a pu entendre pourrait se baser sur ces
photographies, et développer à partir d'elles un personnage de femme
moderne et indépendante de l'entre-deux-guerres. Ce n'est pas la
moindre des qualités de "Titanic" de réussir à fournir en quelques
images matières à imagination.
Quant à la longue introduction met en place certains des
éléments qui traverseront le film : le diamant, incarnation des
principaux sentiments du film (richesse de Hockley, cupidité du
chercheur de trésors, amour entre le peintre et son modèle, souvenir
pour la vieille femme), le naufrage, que l'on voit dans une animation
scientifique avant de le voir "pour de vrai", le Titanic lui-même que
l'on commence par visiter en sous-marin avant que les souvenirs de la
vieille dame vienne le faire surgir par la force du récit. De nombreux
autres petits faits continuent ensuite à établir des résonances
multiples entre les diverses parties du film : Jack Dawson, voulant
empêcher Rose de se suicider, lui décrit la froideur de l'eau à
l'endroit précis du bateau qu'ils occuperont au moment de couler dans
cette eau ("If you jump, I jump"). Tous les lieux et objets montrés
pendant la première partie du film seront, l'un après l'autre,
méthodiquement, détruits dans la seconde.
Au-delà des considérations formelles, "Titanic" est aussi un
film social, dans le sens où Cameron constitue en effet avec minutie
une sorte d'arche de Noé humaine sur son paquebot, avec toutes les
classes d'âges, toutes les fonctions sociales, et un catalogue de nos
sentiments : résignation du vieux couple mourant en silence sur son
lit, frustration de la jeune fille noble, vanité de l'armateur,
ambition du jeune riche, amour du même jeune riche, espoir des
immigrants de tous pays.
Il est d'usage, dans les films catastrophes contemporains
("Independence Day", "Deep Impact"), de symboliser l'humanité ou les
Etats-Unis par un panel représentatif de cinq à dix petits groupes,
dont on suit l'évolution parallèlement à celle des personnages
principaux. Mais Cameron va au-delà du cliché en intégrant ces
personnages dans son histoire et en leur donnant un rôle sur
l'évolution de l'intrigue.
Cette société s'agite sur et dans un bateau qui, lui aussi,
nous est montré sous tous les angles et dans toutes ses fonctions. Les
couloirs sans fin, la cabine de pilotage, les salles de réception, les
bals populaires et les cabines des passagers de troisième ou de
première classe constituent ce monde. La vision des fondements de ce
monde, depuis les entrailles rougeoyantes comme le fond d'un volcan
jusqu'au pont sur lequel Dawson, allongé comme au milieu d'une
prairie, contemple les étoiles, donne au bateau un caractère de
solidité et de permanence qui rend stupéfiant, presque inacceptable sa
mise en pièces finale.
La vision de cette société enclose dans le volume d'un
paquebot, qui reproduit la nôtre en plus beau, provoque chez le
spectateur le même attachement que l'univers d'un rêve, avec la même
nostalgie lorsque le réveil vient le faire disparaître. On s'attache
même à la destruction de cette société, parce qu'elle est
esthétique. On est donc très loin de la vie réelle. Pas étonnant,
donc, que de nombreux spectateurs aient vu le film plusieurs fois. Il
est impossible de poursuivre un rêve interrompu, mais il est tellement
facile de racheter un autre billet.
Titanic - James Cameron - Gaumont Italie et autres
Thierry Bézecourt
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