11'09"01 - September 11 |
17 septembre 2002 |
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Difficile de faire plus conceptuel : onze courts-métrages sur
le thème du 11 septembre, réalisés par onze réalisateurs de onze
cultures différentes. Chacun fait 11 minutes et 9 secondes, et ils
sont sortis le 11 septembre 2002.
Il faut voir ces films. Pas tellement pour leur valeur
cinématographique : seuls Ken Loach et Idrissa Ouedraogo réussissent à
aller au-delà du pur message en offrant l'un une élégie, l'autre une
comédie. L'intérêt de ces films est surtout documentaire. Ils offrent
un miroir de la manière dont les événements du 11 septembre ont été
perçus à travers le monde. Certains journaux américains présentent ces
films comme "anti-américains". A quoi le New York Times répond avec
raison qu'ils ne sont pas anti-américains, mais
"non-américains".
Le trait le plus frappant de ces films, ce par quoi ils sont
irrémédiablement non-américains, c'est qu'ils désacralisent le 11
septembre. Ces attentats sont un acte insensé, un de plus. Une
tragédie terrifiante, une de plus. Samira Makhmalbaf montre que le
sujet préoccupe peu les enfants afghans, dans un pays où on n'est
guère informé sur le monde : l'institutrice elle-même croit que les
Américains vont utiliser la bombe atomique sur l'Afghanistan. Idrissa
Ouedraogo ose montrer Ben Laden dans une fiction, qui plus est dans
une histoire légère à la Club des Cinq ; ce film fait rire à Paris,
j'imagine qu'il choquerait considérablement à New York. A l'inverse,
Ken Loach joue sur la provocation en consacrant son film au 11
septembre 1973, jour du renversement d'Allende ; à un discours de Bush
sur les ennemis de la liberté succèdent des images d'Américains aidant
Pinochet à mettre à bas cette même liberté dans un autre pays, à une
autre époque. C'est un film émouvant, qu'on peut apprécier même si on
hésite à accepter la comparaison. Chahine, de son côté, fait du
Chahine, c'est à dire un petit film théâtral, surréaliste et assez
ridicule, qui tout d'un coup lâche une diatribe très violente contre
les Etats-Unis.
Au fur et à mesure que les films se succèdent, on comprend quel est
l'enjeu majeur que doivent relever les réalisateurs : quel que soit
leur point de vue, leur film paraît anecdotique s'il intègre les
attentats à une fiction classique sans essayer de montrer leur impact
sur la collectivité. Deux d'entre eux font cette erreur. Lelouch est
un bon raconteur d'histoires sentimentales ; il sait très bien
intéresser le spectateur au destin de quelques individus. Le problème,
ici, est qu'il faut montrer un phénomène dont les conséquences portent
sur toute une ville, voire sur le monde entier. Lelouch signe un film
sans intérêt, centré sur une histoire personnelle dans laquelle la
catastrophe n'apparaît qu'à titre annexe.
Le second est Sean Penn. Dans ce groupe de réalisateurs si
éloignés des Etats-Unis, j'attendais d'un Américain un point de vue
sur le traumatisme qu'ont causé les attentats aux Etats-Unis,
traumatisme dont nous sous-estimons l'étendue de ce côté-ci de
l'Atlantique. Or, dans le film de Penn, seul le traitement de l'image
est américain : soigné et sophistiqué, en un mot hollywoodien. Penn
raconte une histoire très mièvre (avec Ernest Borgnine, le gros dur
des westerns d'autrefois ! Il vaut mieux voir ça qu'être sourd
!). Pire, il ne retient de la chute du World Trade Center que son
aspect esthétique. Pourtant, si le cinéma américain a une vertu, c'est
bien de savoir exprimer les réactions collectives d'un peuple,
l'esprit d'une nation et d'une époque. Spielberg, Coppola auraient pu
faire beaucoup mieux. La plus grande erreur des producteurs a été de
refuser un projet d'Abel Ferrara : dans un bon jour, un New-Yorkais
qui a réalisé "Nos Funérailles" aurait pu faire, et fera peut-être, un
très grand film sur les séquelles du 11 septembre.
De tous ces films se distingue celui du Mexicain Inarritu :
contrairement aux autres, il n'a pas essayé de traiter le sujet au
second degré via son impact sur des individus ou sur un pays. Inarritu
a réalisé un montage d'images et surtout de sons, dont on ne sait s'il
poursuivra sa carrière comme générique d'émission radio ou dans une
installation d'art vidéo à Beaubourg. Lui seul s'approche au plus près
de l'événement, et tente d'en montrer la brutalité absolue à travers
les bruits lancinants des corps qui tombent de 90 étages.
11'09"01 - September 11 (11'09"01 - September 11) - Samira Makhmalbaf, Claude Lelouch, Youssef Chahine, Danis Tanovic, Idrissa Ouedraogo, Ken Loach, Alejandro Gonzalez Inarritu, Amos Gitaï, Mira Nair, Sean Penn, Shohei Imamura
- UGC Ciné-Cité les Halles
Thierry Bézecourt
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