Sept contre la Mort |
13 juin 2000 |
|
Parfois, on écrit sur un film en sachant parfaitement qu'on ne
sera pas lu. Qui, en effet, peut bien s'intéresser à ces 70 lignes sur
"Sept contre la mort", un film des années 60 signé d'Edgar G. Ulmer,
qui n'est pas vraiment le réalisateur américain le plus connu de
l'époque, même dans la série B ? Qui, d'abord, a vu ce film, à part
les soixante personnes qui sont venues samedi soir à la Cinémathèque
du palais de Chaillot, et qui ne sont pas parties après "The man from
Planet X" ?
C'est pourtant rudement bien, "Sept contre la mort", ou "The
cavern" (le titre américain, comme d'habitude, est nettement
meilleur). D'après le générique, le film est co-réalisé par Paolo
Bianchini, mais je doute qu'il y ait fait grand chose vu le reste de
sa filmographie ("Hypnos follia di un massacro", "Super Andy, il
fratello brutto di Superman"...). "The Cavern" est un film plutôt
sérieux, qui raconte l'histoire de sept personnages de nationalités
différentes, bloqués dans une caverne par les caprices de la guerre,
du hasard et de la coproduction américano-italo-allemande. Comme en
plus il y a une femme parmi eux, on prévoit que la vie en commun n'ira
pas sans quelques tensions.
Dans ce genre de huis-clos ("Cube"), on s'attend à ce que les
personnages se déchirent et s'entre-tuent rapidement. Pas ici, car
c'est la première qualité du film de ne pas se laisser trop entraîner
aux scènes attendues. Contrairement à la plupart des huis clos où
l'absence de vivres réduit l'action à une poignée de jours, ici la
caverne se trouve être un dépôt de nourritures, et cela dure donc des
mois. Les cartons qui indiquent "96 jours après" ou "245 jours plus
tard" font sourire par la précision dérisoire avec laquelle ils
rendent compte de sauts dans le temps aussi considérables.
On a tout de même droit à l'inévitable succession des espoirs
avortés et des querelles naissantes, mais le scénario parvient à ne
pas se répéter malgré les contraintes imposées par le cadre de
l'intrigue. Et la réalisation parvient régulièrement à faire croire au
spectateur que ça y est, cette fois les captifs ont trouvé la
sortie. La sortie éventuelle de la grotte prend ainsi des allures de
terre promise, montrée, presque donnée puis refusée au dernier
moment. La frustration du spectateur est considérable, autrement dit
il est comblé...
Et puis, au-delà de ces qualités qui font un film solide,
c'est par quelques scènes de grâce cinématographique absolue que le
film s'élève au-dessus de la moyenne des films de genre. Je citerai
juste le vieux général, un personnage bien attachant (quoique
militaire), qui a l'habitude de lire chaque soir, dans son lit, un
chapitre de la Bible. Un soir, il est invité à faire sa lecture à voix
haute, pour l'ensemble de la communauté. Il choisit le début de la
Genèse. Dieu crée le jour et la nuit, l'eau et la terre, il voit que
le jour est bon, et pendant ce temps la caméra glisse sur les
prisonniers, sur la grotte, sur une rivière souterraine, et scrute la
nuit qui, contrairement au texte biblique, n'est pas suivie par le
jour. Pendant deux minutes, Ulmer filme les personnages comme des
éléments de la création au même titre que les rochers ou les rivières,
et souffrant de ne pas avoir accès à l'élément primordial du monde, la
lumière qui leur est nécessaire. Croyez-moi si vous le voulez, c'est
beau comme du Straub.
De toute manière, vous n'allez pas me démentir, parce que vous
n'avez pas vu le film, vous ne le verrez pas avant longtemps, et
d'ailleurs vous n'avez pas lu jusqu'ici.
Sept contre la Mort (Sette contro la morte) - Edgar G. Ulmer - Cinémathèque, salle de Chaillot
Thierry Bézecourt
Retour à la liste des textes
Retour à thbz.org
Emplacement de cette page : http://www.thbz.org/films/Sept_contre_la_Mort.php3