"Romance" fait fuir les spectateurs. Certains viennent voir un
film comme les autres et découvrent avec surprise un film
pornographique ; d'autres viennent voir des scènes de sexe et
s'ennuient devant un film froid et intellectuel. Les uns comme les
autres quittent la salle au bout de dix minutes.
Il faut dire que "Romance" montre beaucoup mais avec une
grande distanciation, et peu de réalisme. Les personnnages sont plus
des symboles que des individus. Ainsi, le mannequin, qui est
photographié en torero, n'a que l'apparence de la virilité : il séduit
par sa belle gueule (sa fiancée, les filles dans les discothèques),
mais ne va jamais jusqu'au bout. Sa chambre au lit blanc, aux draps
blancs, aux murs blancs, dégage la même froideur stérile qu'une
chambre d'hôpital. Les autres personnages sont eux-mêmes très typés :
l'étalon italien, le Dom Juan revenu de tout, le baiseur dans
l'escalier.
Cette impression d'artificialité est renforcée par l'abondance
des dialogues qui tend parfois à la logorrhée. Avec le Dom Juan (très
bon François Berléand), qui, pour séduire la jeune femme, commence par
raconter comment il a séduit les autres, puis ne cesse d'étaler ses
théories sur les hommes et les femmes (litanie de sentences qui est ce
que je trouve le plus irritant dans certains films français, peut-être
à prendre ici au second degré).
Mais surtout avec la jeune femme, qui est le seul personnage
non caricatural du film. Ses monologues, centrés presque uniquement
sur le sexe, sont dans le ton du grand monologue de Danièle Lebrun
dans "La maman et la putain". Elle montre une conception du sexe assez
incohérente, plus proche du délire que de la philosophie : elle veut
se faire violer, mais elle veut choisir comment. J'embrasse pas, mais
j'embrasse quand même. Et puis, c'est comme avec les sentences du Dom
Juan (ou, dans un autre genre, celles de "La ligne rouge") : au
cinéma, j'arrête assez vite d'écouter les théories fumeuses. Plus
intéressante est la conception de la relation amoureuse qui se dégage
du film, même si elle n'a rien de nouveau (on voit ça tout le temps
chez Proust) : un homme ne s'intéresse à une femme qu'à partir du
moment où celle-ci s'éloigne de lui, et réciproquement. Ainsi faut-il
que la jeune femme trompe le mannequin pour qu'il ait à nouveau du
désir pour elle, même s'il ne ressent que confusément qu'elle se
détache de lui.
L'intellectualité est parfois désamorcée par l'humour, avec
les scènes sado-maso où François Berléand, sérieux comme un pape,
choisit ses outils, hésite, recommence comme s'il s'agissait de monter
une armoire en kit. L'image du même personnage, cynique et détaché,
est aussi cassée lorsqu'il se montre le plus attentif à la jeune femme
lors de son accouchement.
Reste qu'on se demande pourquoi Breillat a fait appel à des
acteurs de cinéma porno, à part pour le côté provoc'. J'aime bien la
provoc', ça dépayse de temps en temps, lorsqu'on voit autant de films
que moi au cinéma. Mais c'est beaucoup plus surprenant de voir des
acteurs du circuit traditionnel (comme les acteurs du film, Siffredi
excepté) faire des scènes semi-hard que de voir des "professionnels"
faire leur boulot, même dans un film d'auteur. C'est comme si un
peintre de paysage faisait appel à un architecte pour dessiner une
maison au coin du tableau. Je ne vois pas bien ce que la présence de
Rocco Siffredi apporte au film ; il me fait penser à Jean-Claude Van
Damme : très beau, un physique exceptionnel, mais aucune présence
d'acteur à l'écran.
En conclusion, c'est un film trop long, trop bavard et pas
très cohérent, et on ne sait pas trop si la réalisatrice se prend
vraiment au sérieux (je pense que oui). Mais l'originalité du film en
fait une curiosité.
Romance - Catherine Breillat
Thierry Bézecourt
Retour à la liste des textes
Retour à thbz.org
Emplacement de cette page : http://www.thbz.org/films/Romance.php3