Retour sur Bresson |
21 avril 2000 |
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Intégrale Bresson au Reflet Médicis Logos, rue Champollion,
Paris.
Après avoir vu ou revu plusieurs films de Bresson des années
60 et 70 ces dernières semaines, je suis frappé par la coexistence de
deux courants très différents dans ses films de cette époque-là, plus
ou moins présents selon les films. Le premier est une recherche de
plus en plus poussée dans l'image, l'autre consiste à raconter une
histoire simple et émouvante, souvent adaptée d'une oeuvre
littéraire.
J'avais oublié, en effet, que la plupart des films de Bresson
sont d'abord des histoires racontées au premier degré, et parfois
bouleversantes une fois qu'on s'est habitué à l'interprétation si
particulière. "Mouchette" est un mélodrame très sombre adapté de
Bernanos, "Quatre nuits d'un rêveur" une histoire d'amour inspirée de
Dostoïevski, "Pickpocket" un parcours initiatique. "Au hasard
Balthazar" est une sorte de conte picaresque dans lequel on retrouve
tous les genres qui précèdent. Ces films peuvent, doivent d'abord être
pris comme tels.
La froideur et le hiératisme de l'interprétation ne s'opposent
pas à l'émotion. L'absence de glamour rend la descente aux enfers de
Mouchette encore plus fatidique et brutale. Inversement, le contraste
rend troublants les moments de sensualité, comme le bain de Guenièvre
dans "Lancelot du Lac", ou d'érotisme pur, comme la scène de "Quatre
nuits d'un rêveur" où Isabelle Weingarten laisse tomber ses habits et
observe, évalue, admire son corps nu dans un miroir.
Dans cette scène, Bresson la filme au plus près, sans qu'on la
voie vraiment en entier. Tantôt c'est son visage, beau mais sage, qui
rappelle que, pendant tout le reste du film, Isabelle Weingarten est
habillée et coiffée de manière stricte, et fait vieux jeu à côté des
hippies qu'elle croise sur le Pont-Neuf. Tantôt la caméra se fixe sur
son corps, et alors la rondeur et le charme de ses formes s'opposent à
la rigueur du personnage. Bresson nous le montre jusqu'à ce qu'on
accepte cette opposition, et que, charmée par son propre corps, elle
enfile une robe de chambre transparent pour aller rejoindre le jeune
homme qui couche dans la chambre juste à côté. Projet auquel elle
renoncera.
C'est justement par cette scène érotique que l'on peut faire
le lien avec la recherche permanente qui constitue l'autre trait
marquant des films de Bresson. En montrant les divers aspects de cette
jeune femme (stricte dans la vie, nue dans sa chambre), Bresson
réussit à éliminer toute idéalisation au profit d'une présence très
forte du personnage. De même, dans certaines scènes, fulgurantes, de
"Pickpocket" ou de "Lancelot du Lac", il représente un geste typique
(jeux de mains des voleurs, affrontement à la lance des chevaliers...)
sous différents points de vue, avec différents personnages, jusqu'à
lui conférer une présence, une réalité que les films "normaux" ne
pourraient atteindre, trop pressés par l'histoire et les personnages
qu'ils doivent montrer en permanence. La représentation du mouvement
se poursuit jusqu'à ce qu'on en ait saisi toute la substance, aussi
bien que si l'on s'y exerçait soi-même. Cette représentation s'arrête
lorsque le mouvement, à force d'être répété, risquerait de perdre tout
son sens, comme un mot que l'on prononce à haute voix vingt fois de
suite. Je repense ici aux "Notes sur le cinématographe" dans
lesquelles Bresson se dit fasciné par les possibilités d'expression,
immenses et nouvelles, du "cinématographe" : la peinture n'a ni le
mouvement, ni le son, la poésie n'a pas l'image. Le cinéma, lui
possède tout cela, il suffit de l'utiliser.
"Lancelot du Lac" est à mon sens l'aboutissement du cinéma de
Bresson sur ce plan-là, son film le plus expérimental et sans doute,
esthétiquement, le plus beau de tous. Les couleurs sont superbes,
tellement vivantes que les personnages, parfois, se perdent dans le
décor. Jamais autant que dans "Lancelot" les films de Bresson ne
séduisent par la beauté de l'image, beauté parfois fugitive quand, à
la fin d'un plan, les personnages ont quitté le champ et qu'on ne voit
plus qu'une tente, un bois, l'intérieur d'une grange. Parfois on sent
le poids de la stylisation. Mais, le plus souvent, c'est une fête des
yeux.
Je crois que cette intégrale Bresson doit s'achever mardi
prochain. Les spectateurs sont de plus en plus nombreux au fur et à
mesure que le cycle avance. L'autre soir, la salle était presque
pleine pour "Quatre nuits d'un rêveur", de même que deux jours plus
tard pour "Les anges du péché" (en présence de l'une des
actrices). J'espère donc bien que le Reflet Médicis, ou un autre
cinéma, va poursuivre ce cycle qui est l'un des grands événements de
l'année.
Thierry Bézecourt
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