Au hasard Balthazar |
16 mars 2000 |
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De Bresson je gardais un souvenir de films austères dans la
forme, exigeant du spectateur un effort d'adaptation avant de lui
délivrer des émotions analogues à celles que l'on peut avoir dans un
musée, en particulier dans un musée d'art moderne.
"Au hasard Balthazar", au contraire, démarre très vite : des
enfants baptisent un âne avec gravité, jouent dans la campagne,
s'aiment, puis se quittent parce que les vacances sont
terminées. Bresson filme des sentiments avec la distance exacte : sans
porter de jugement d'adulte attendri ou ironique, sans mettre non plus
le spectateur à la place des personnages comme dans un mélo. De cet
équilibre, de la sensation que grâce à cet équilibre le film
s'approche au plus près de la vérité des sentiments, naît une émotion
inattendue.
L'émotion prend d'autres formes dans la suite du film. Les
films de Bresson sont, parmi tous les films de cinéma, ceux qui se
rapprochent le plus des arts dits "beaux". Parfois un plan ralentit,
s'arrête sur une porte, ou peut-être ne s'arrête-t-il pas
vraiment. Mais la composition du plan, amenée par les plans
précédents, paraît inexplicablement belle. Indépendamment de
l'histoire et des personnages, suspendus l'espace d'un instant. Puis
apparaît le visage d'Anne Wiazemsky qui, lui, a plutôt la texture du
marbre, dure et lisse, luisante comme la Pieta de Michel-Ange, à
Saint-Pierre de Rome. D'ailleurs, le personnage s'appelle Marie. Mais
sa destinée est plus proche de Marie-Madeleine.
Marie et Balthazar, l'âne, grandissent parallèlement. Le film
suit Balthazar, et retrouve Marie de temps en temps. Elle découvre
avec un jeune garçon bon, près de Balthazar. Plus tard, c'est encore
près de Balthazar qu'elle cède à un autre garçon, violent. C'est
encore à un propriétaire de Balthazar, cupide, qu'elle se
prostitue. Balthazar appartient aussi à un ivrogne qui est peut-être
un assassin, à des contrebandiers, ainsi qu'à un homme honnête et
orgueilleux : victime de son honnêteté mais coupable de son
orgueil. Balthazar est présent à tous les moments importants de la vie
des hommes. Il les contemple en silence, impassible comme le monolithe
de "2001". Mais, contrairement au monolithe, il n'est pas
inaltérable. Les hommes se vengent sur lui de leurs échecs et de leurs
frustrations, l'abandonnent à la première occasion. Il supporte le
poids des fautes des hommes et des malheurs du monde. Y compris des
animaux, comme le montre un échange de regard extraordinaire entre
Balthazar et les animaux en cage d'une ménagerie. A force de souffrir,
il tombe malade, se relève, tombe à nouveau.
"Au hasard Balthazar" est un film poignant. C'est aussi un
film d'art. C'est encore un film sur le mal, le péché, le malheur. Ca
passe à l'Accatone, rue de Cujas (Paris V), le dimanche midi à 12h
10. Il se trouve aussi qu'un cycle Bresson a commencé hier dans un
autre cinéma.
Au hasard Balthazar - Robert Bresson - Accatone
Thierry Bézecourt
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